samedi 31 mars 2018

En vivant... Marie-Joseph Le Guillou, La Vigile Pascale



Saint Augustin dit que la veillée pascale est la veillée-mère de toutes les saintes veillées, c'est-à-dire la veillée par excellence.
Après que le diacre ait chanté l'annonce de la Pâque et que le prêtre ait béni le feu auquel s'allume le cierge pascal, les fidèles sont invités à se transmettre la lumière. On peut alors commencer la liturgie de la Parole au cœur de l'église embrasée par la lumière de tous les cierges. La liturgie de la Parole reprend sept grands textes de l'Ancien Testament depuis la Genèse jusqu'au prophète Ézéchiel annonçant au peuple en exil une eau pure, un cœur nouveau et un esprit nouveau. Toute l'histoire d'Israël est reprise au cours de ces lectures montrant bien l'accomplissement des prophéties.
Le texte principal est la lecture du livre de l'Exode au chapitre 14,15 à 15,1. C'est la libération d'Israël par le passage à pied sec de la Mer Rouge. Les eaux se fendent, les fils d'Israël passent. Les eaux se referment, les Égyptiens qui poursuivaient les Hébreux sont engloutis par la mer. L'essentiel est d'en saisir la signification profonde. Les Hébreux sont libérés de l'esclavage des Égyptiens. Cette libération symbolise la libération du péché et annonce la nouvelle naissance dans l'eau du baptême.
À travers tout son passage dans le désert, Israël découvre qu'il est vraiment le peuple de Dieu voué à lui seul. Les fils d'Israël sont libérés d'Égypte pour aller rendre un culte à Dieu sur le Sinaï. Le passage de la mer rouge nous renvoie en effet au chapitre 24 de l'Exode. Moïse annonce au peuple que Dieu a fait alliance avec lui et pour le montrer, Moïse fait un sacrifice en immolant à Dieu des jeunes taureaux en sacrifice de communion. « Moïse ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit : « Ceci est le sang de l'Alliance que Dieu a conclue avec vous moyennant toutes ses lois » (Exode 24,8). Le peuple est pris dans la libération du Seigneur. C'est donc un texte cultuel. La libération du peuple est toujours vue en perspective cultuelle. Il est important de le souligner car on peut entendre parler de la théologie de la libération. Ne tombons pas dans l'erreur commise trop souvent : la libération n'est pas pour une libération humaine mais c'est une libération pour un culte en vue de rendre gloire à Dieu.
Une remarque encore. On parle souvent des genres littéraires, historiques ou poétiques des textes de l'Écriture. Il faut s'attacher au sens spirituel de la Parole de Dieu et savoir que le Seigneur utilise des procédés pour faire comprendre à son peuple ce qu'il porte au plus profond de lui-même et qui le libère. L'exode est une libération merveilleuse par le Seigneur mais il ne faut pas en rester aux images. Elles sont là pour nous faire comprendre le dessein du Seigneur et pour nous faire entrer dans son mystère d'amour.
La veillée pascale est centrée sur la libération des fils d'Israël et sur le don de l'Esprit. Si des catéchumènes sont baptisés dans la nuit de Pâques il y a la bénédiction de l'eau baptismale avec une insistance sur le don de l'Esprit puisque nous participons de manière tout à fait spéciale à la mort et à la résurrection du Christ avant de participer à l'Eucharistie. N'oublions jamais que dans la tradition ancienne, l'initiation chrétienne comprend toujours d'un seul tenant : le Baptême, la Confirmation et l’Eucharistie.
Israël n'a pas été fidèle à l'alliance. Dieu va promettre aux fils d'Israël de leur donner un cœur nouveau et un esprit nouveau et ainsi renouvelle son alliance avec eux. De la même manière, la liturgie nous invite, nous qui sommes baptisés, à renouveler les promesses de notre baptême. Par là même, en cette veillée pascale, Dieu réactualise notre baptême de façon solennelle et nous demande d'y correspondre chaque jour.
Puis la liturgie eucharistique se célèbre dans la joie de la résurrection.
Arrêtons-nous, autant que nous pouvons le faire, sur le contenu de la résurrection. Méditons pour commencer sur le texte de la lettre aux Romains de saint Paul au chapitre 1, v. 1 à 7 :
Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l'Évangile de Dieu que d'avance il avait promis par ses prophètes dans les saintes Écritures, concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'esprit de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus-Christ notre Seigneur, par qui nous avons reçu grâce et apostolat pour prêcher, à l'honneur de son nom l'obéissance de la foi parmi tous les païens, dont vous faites partie, vous aussi, appelés de Jésus-Christ, à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, aux saints par vocation, à vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ.
La longueur de la phrase indique qu'il s'agit d'une affirmation extrêmement importante et solennelle ; elle s'organise autour d'un centre dont tout dépend : Jésus-Christ notre Seigneur. C'est une grande confession de foi dans laquelle saint Paul indique que le but de l'Écriture est contenu dans l'Évangile, que la foi, l'apostolat, l'envoi en mission, le salut universel nous sont donnés en Jésus-Christ.
Il y a un parallélisme remarquable entre « Fils, issu de la lignée de David selon la chair » et « Fils, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'esprit de sainteté, par sa résurrection des morts ». L'antithèse entre les deux natures du Christ est la résurrection d'entre les morts. Celle-ci est la cause de la révélation de Jésus comme Seigneur. C'est le cœur de la théologie de Paul et de la théologie pré-paulinienne présente dans le message évangélique bien avant Paul. Nous avons cette même doctrine de la christologie dans les actes des apôtres et notamment dans le premier discours de Pierre au moment où il annonce, le jour de la Pentecôte, le mystère du Christ :
Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude : Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié.
Actes 2, 36
Nous trouvons la même proclamation dans le discours de Pierre chez Corneille :
Dieu a envoyé sa parole aux Israélites, leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ : c'est lui, le Seigneur de tous. Vous savez ce qui s'est passé dans toute la Judée : Jésus de Nazareth, ses débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean ; comment Dieu l'a oint de l'Esprit Saint et de puissance... Dieu l'a ressuscité le troisième jour... et il nous a enjoint de proclamer au peuple et d'attester qu'il est, lui, le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts.
Actes 10, 36-38, 40, 42
La filiation divine de Jésus est mise en relation directe avec la résurrection. Il est capital de retenir que la filiation divine de Jésus est manifestée, c'est-à-dire rendue visible par sa résurrection. La Résurrection ne crée pas la filiation de Jésus mais au contraire la révèle et souligne l'acte de Dieu.
Le Christ est le Fils de Dieu par excellence comme le souligne saint Paul dans la deuxième épître à Timothée : « Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts issu de la race de David, selon mon Évangile » (2 Timothée 2, 8). Issu de la race de David : c'est toute l'histoire d'Israël qui trouvera un jour son achèvement glorieux. Ressuscité d'entre les morts : la résurrection des morts a inauguré des temps où l'Esprit sera la marque d'une économie nouvelle. Jésus-Christ : Oint, le Messie, implique l'idée de l'Esprit Saint. L'ère qui s'ouvre recevra le don de l'Esprit qui emplit le Fils et qui est le déploiement de sa force. L'Esprit lui-même agira en puissance. Jésus notre Seigneur n'est pas seulement celui devant lequel on plie le genou mais il est la source de tout apostolat. L'ancien Israël a fait place au véritable Israël, le premier étant restreint. L'Église est universelle. Le premier Israël était lié à une race, désormais c'est un peuple qui est élevé au rang du Seigneur Jésus-Christ, souverain de tous les peuples. La résurrection n'est pas un fait statique, elle engage tout le mystère du salut et toute l'humanité. La résurrection n'est pas une doctrine extérieure à l'homme. Si celui-ci croit, l'évangile devient vivant et crée une relation de personne à personne. La résurrection est cette création de relations interpersonnelles. Il n'y a de foi que dans une rencontre en vertu de laquelle le sujet croyant participe à l'action libératrice de Dieu.
Alors qu'est-ce que la résurrection ? Le Christ reprend un corps, son corps qui n'a jamais cessé d'être uni à la divinité, qui a été séparé de son âme mais qui n'a pas été séparé de la divinité. Jésus a un corps glorifié, c'est-à-dire un corps véritable. Les Évangiles insistent beaucoup sur le fait de toucher le Christ : « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai » (Luc 24,38). Le Christ est un vivant en relation personnelle avec chacun d'entre nous par la foi. C'est un vivant empli de l'Esprit Saint qui n'est là que pour donner la plénitude de l'Esprit à chacun d'entre nous. La résurrection du Christ n'est pas comme la résurrection de Lazare. Lazare est ressuscité selon la chair, il n'est pas ressuscité selon l'Esprit. Il est ressuscité et doit mourir de nouveau. La résurrection du Christ est un passage à un monde nouveau. Le Christ vit dans l'Esprit Saint et a un corps tout entier transfiguré par la présence de l'Esprit Saint. C'est un homme, issu de la lignée de David qui vit sous l'emprise de l'Esprit Saint.
Le Christ ne ressuscite pas le Vendredi Saint, ni au moment de sa mort. Il a été réellement mort trois jours au sens biblique du mot. C'est une formule qui marque l'action eschatologique de Dieu comme nous la trouvons déjà dans le prophète Osée : « Venez, retournons vers le Seigneur, Il a déchiré, Il nous guérira ; Il a frappé, Il pansera nos plaies. Après deux jours, Il nous fera revivre, le troisième jour Il nous relèvera et nous vivrons en Sa présence ». (Osée 6, 1-2). Ce texte dit la puissance de Dieu à l'œuvre dans le monde et dans nos vies.
Dans l'Église primitive, la profession de foi faisait dire aux chrétiens : « Je crois au Saint Esprit dans l'Église catholique pour la résurrection d'entre les morts ». Nous participons ainsi à ce qui a été le mystère du Christ. Saint Paul nous dit dans l'épître aux Colossiens :
Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut, là où se trouve le Christ assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire.
                                                                                                                                                                                                      Colossiens 13, 1-4
Notre vie est cachée en Dieu mais nous faisons déjà l'expérience de la résurrection de façon mystérieuse. Nous sommes marqués du signe de la résurrection pourtant non encore rendue présente visiblement. Cela se manifeste dans la charité fraternelle en attendant les embrassades du ciel.
Il faut voir le ciel de façon réaliste : c'est notre monde transfiguré. L'Esprit est à œuvre, il nous fait vivre de la Gloire de Dieu, de la Vie même de Dieu. La résurrection est l'affirmation de la Vie de Dieu pénétrant notre être jusqu’au plus profond de nous-même.
Le Christ agit dans son corps à travers les sacrements parce qu'il est empli de l'Esprit. Il n'y aurait pas de sacrements si le Saint Esprit n'était pas agissant dans le corps du Christ glorieux. On aurait pu imaginer que le Christ nous sauve sans contact avec lui. Il veut que nous le rencontrions dans sa mort, dans sa résurrection, dans le pardon des péchés, dans toute notre vie. Il s'agit d'annoncer au monde entier que le Christ est le Ressuscité. Voilà pourquoi l'Église chante le jour de Pâques : « Ô ma joie, Christ est ressuscité, oui, Il est vraiment ressuscité ». C'est le bonjour des chrétiens ce jour-là, ils se rencontrent dans le Ressuscité. Cela demande un regard de foi, il s'agit d'entrer dans ce mystère de résurrection, mystère de la vie du Christ.
Marie-Joseph Le Guillou, in Entrons dans la Passion et la Gloire du Christ