dimanche 11 décembre 2016

En écrivant... Saint François de Sales, Conseils à une anxieuse


Annecy, 7 avril 1617.
Madame,
À cette première commodité que j'ai de vous écrire, je tiens ma promesse, et vous présente quelques moyens par lesquels vous pourrez adoucir la crainte de la mort, qui vous donne de si grands effrois en vos maladies et enfantements : en quoi, bien qu'il n'y ait aucun péché, il y a cependant du dommage pour votre cœur, lequel, troublé de cette passion, ne peut pas si bien se joindre par amour avec son Dieu, comme il ferait s'il n'était pas si fort tourmenté.
Premièrement donc, je vous assure que si vous persévérez à l'exercice de dévotion, comme je vois que vous faites, vous vous trouverez petit à petit grandement allégée de ce tourment ; d'autant que votre âme, se tenant ainsi exempte des mauvaises affections et s'unissant de plus en plus à Dieu, elle se trouvera moins attachée à cette vie mortelle et aux vaines complaisances que l'on y prend. Continuez donc en la vie dévote selon que vous avez commencé, et allez toujours de bien en mieux au chemin dans lequel vous êtes, et vous verrez que, dans quelque temps, ces terreurs s'affaibliront et ne vous inquiéteront plus si fort.
Secondement, exercez-vous souvent aux pensées de la grande douceur et miséricorde avec laquelle Dieu notre Sauveur reçoit les âmes en leur trépas, quand elles se sont confiées en lui pendant leur vie et qu'elles se sont essayées de le servir et aimer, chacune en sa vocation :
Ô que vous êtes bon, Seigneur, à ceux qui ont le cœur droit !
Tiercement, relevez souvent votre cœur par une sainte confiance mêlée d'une profonde humilité envers notre Rédempteur ; comme disant : je suis misérable, Seigneur, et vous recevrez ma misère dans le sein de votre miséricorde, et vous me tirerez de votre main paternelle à la jouissance de votre héritage. Je suis chétive, et vile, et abjecte ; mais vous m'aimerez en ce jour, parce que j'ai espéré en vous et ai désiré d'être vôtre.
Quatrièmement, excitez en vous, le plus que vous pourrez, l'amour du Paradis et de la vie Céleste, et faites plusieurs considérations sur ce sujet, lesquelles vous trouverez suffisamment marquées au livre de l'Introduction à la Vie dévote, en la Méditation de la gloire du Ciel, et au Choix du Paradis ; car, à mesure que vous estimerez et aimerez la félicité éternelle, vous aurez moins d'appréhension de quitter la vie mortelle et périssable.
Cinquièmement, ne lisez point les livres ou les endroits des livres dans lesquels il est parlé de la mort, du jugement et de l'enfer ; car, grâces à Dieu, vous avez bien résolu de vivre chrétiennement et n'avez point besoin d'y être poussée par les motifs de la frayeur et de l'épouvantement.
Sixièmement, faites souvent des actes d'amour envers Notre-Dame, les Saints et Anges célestes ; apprivoisez-vous avec eux, leur adressant souvent des paroles de louange et de dilection ; car ayant beaucoup d'accès avec les citoyens de la divine Jérusalem céleste, il vous fâchera moins de quitter ceux de la terrestre ou basse cité du monde.
Septièmement, adorez souvent, louez et bénissez la très sainte Mort de Notre-Seigneur crucifié, et mettez toute votre confiance en son mérite, par lequel votre mort sera rendue heureuse ; et dites souvent :
Ô divine mort de mon doux Jésus, vous bénirez la mienne, et elle sera bénite ;
Je vous bénis, et vous me bénirez, ô mort plus aimable que la vie.
Ainsi saint Charles, en la maladie de laquelle il mourut, fit mettre à sa vue l'image de la sépulture de Notre-Seigneur et celle de l'oraison qu'il fit au mont des Oliviers, pour se consoler en cet article, sur la Mort et Passion de son Rédempteur.
Huitièmement, faites quelquefois réflexion sur ce que vous êtes fille de l'Eglise catholique, et vous réjouissez de cela ; car les enfants de cette Mère qui désirent de vivre selon ses lois, meurent toujours bienheureux, et, comme dit la bienheureuse Mère Thérèse, c'est une grande consolation à l'heure de la mort d'être « fille de la sainte Eglise ».
Neuvièmement, finissez toutes vos oraisons en confiance, comme disant :
Seigneur vous êtes mon espérance ; en vous j'ai jeté ma confiance.
Ô Dieu, qui espéra jamais en vous, lequel ait été confondu ?
J'espère en vous, ô Seigneur, et je ne serai point confondu éternellement.
En vos oraisons jaculatoires parmi la journée, et en la réception du très saint Sacrement, usez toujours de paroles d'amour et d'espérance envers Notre-Seigneur, comme :
Vous êtes mon Père, ô Seigneur !
Ô Dieu, vous êtes l'Époux de mon âme ; vous êtes le Roi de mon amour et le Bien-Aimé de mon âme !
Ô doux Jésus, vous êtes mon cher Maître, mon secours, mon refuge !
Dixièmement, considérez souvent les personnes que vous aimez le plus et desquelles il vous fâcherait d'être séparée, comme des personnes avec lesquelles vous serez éternellement au Ciel ; par exemple, votre mari, votre petit Jean, monsieur votre père.
Ô ce petit garçon, qui sera, Dieu aidant, un jour bienheureux en cette vie éternelle, en laquelle il jouira de ma félicité et s'en réjouira, et je jouirai de la sienne et m'en réjouirai sans jamais plus nous séparer !
Ainsi du mari, ainsi du père et des autres : en quoi vous aurez d'autant plus de facilité, que tous vos plus chers servent Dieu et le craignent. Et parce que vous êtes un peu mélancolique, voyez au livre de l'Introduction à la Vie dévote ce que je dis de la tristesse et des remèdes contre celle-ci.

Voilà, ma chère Dame, ce que pour le présent je vous puis dire sur ce sujet, que je vous dis avec un cœur grandement affectionné au vôtre, lequel je conjure de m'aimer et recommander souvent à la miséricorde divine, comme réciproquement je ne cesserai jamais de la supplier qu'elle vous bénisse.
Vivez heureuse et joyeuse en la dilection céleste, et je suis Votre plus humble et très affectionné serviteur.


François de Sales, Lettre à Madame de Veyssilieu