samedi 4 avril 2015

En méditant... Louis de Grenade, Le Samedi Saint


Ce jour-là, il y a lieu de considérer le coup de lance donné au Seigneur, la descente de la croix, les lamentations de la Sainte Vierge, l'accomplissement de la Sépulture.
Considère comment le Sauveur étant expiré sur la croix et le désir de ses ennemis qui désiraient tant le voir mort se trouvant réalisé, la rage de leur fureur n'est pas apaisée et ils veulent encore se venger et s'acharner sur ces saintes reliques, ouvrage de leurs mains.
Voici un de leurs serviteurs qui s'avance, une lance à la main : il perce avec une grande force la poitrine nue du Sauveur. La violence du coup souleva la croix et fit jaillir de l'eau et du sang.
Ô ruisseau qui vient du paradis dont les eaux couvrent toute la face de la terre.
Ô blessure de ce Cœur précieux, faite par l'amour des hommes plus que par le fer de la lance cruelle.
Ô porte du ciel, fenêtre du paradis, lieu de refuge, tour fortifiée, sanctuaire des justes, sépulcre des pèlerins, nid des colombes pures et lit fleuri de l'épouse de Salomon !
Salut blessure du Cœur précieux qui blesse les cœurs des dévots, blessure qui blesse les âmes des justes, rose d'ineffable beauté, rubis d'un prix inestimable, entrée du cœur du Christ, témoignage de son amour et gage de la vie sans fin.
Après cela, considère comme le même jour, sur le tard, arrivent ces deux saints compagnons, Joseph et Nicomède. Ils appuient leurs échelles à la croix et descendent dans leurs bras le corps du Sauveur.
Quand la Vierge vit que le tourment de la passion était terminé et que le corps reposait à terre, elle voulut lui donner sur son sein un refuge assuré et des bras de la croix le recevoir dans les siens. Elle demanda avec la plus grande humilité à cette noble compagnie de la laisser arriver jusqu'à son Fils, puisque de sur la croix, elle n'avait pu recevoir ses adieux et ses derniers embrassements.
Sa douleur serait encore plus grande, si ses ennemis, l'ayant séparée de son Fils quand il était vivant, ses amis l'empêchaient de l'approcher maintenant qu'il est mort.
Ensuite, quand la Vierge le tint en ses bras, quelle langue pourrait exprimer ce qu'elle ressentit.
Ô anges de la paix, pleurez avec cette sainte Vierge ! Pleurez cieux, pleurez étoiles du ciel et vous toutes les créatures du monde, que vos gémissements accompagnent ceux de Marie !
La Mère tenait dans ses bras ce corps mutilé, le pressait fortement sur son sein — pour cela seul, il lui restait des forces. — Elle mettait sa figure au milieu des épines que portait cette tête sacrée. Elle collait son visage sur celui de son Fils. La face de la très sainte Mère se teignit du sang du Fils, celle du Fils était arrosée des larmes de la Mère.
Ô douce Mère ! est-ce là votre très doux enfant ? Est-ce lui dont la conception vous rendit si heureuse ; que sont devenus votre bonheur passé et vos anciennes joies ? Où est ce miroir de beauté où vous retrouviez votre image ?
Tous ceux qui étaient là pleuraient. Elles pleuraient les saintes femmes, ils pleuraient ces nobles compagnons, le ciel et la terre pleuraient et toutes les créatures accompagnaient de leurs larmes celles de la Vierge. Il pleurait aussi le saint Évangéliste, embrassant le corps de son Maître. Il disait :
Ô bon Maître et mon Seigneur, à l'avenir qui m'instruira, à qui irai-je porter mes doutes ? 
Sur quelle poitrine pourrai-je me reposer ? 
Qui me communiquera les secrets du ciel ?
Avant-hier au soir, tu me tenais sur ta poitrine et tu me donnais l'allégresse de vivre, maintenant, je remémore un si grand bienfait en te tenant mort sur mon cœur. 
Est-ce là le visage que j'ai vu tout transfiguré au Mont Thabor ; 
Est-ce là le visage plus éclatant que le soleil en son midi ?
Elle pleurait aussi cette sainte pécheresse et embrassant les pieds du Sauveur elle disait :
Ô lumière de mes yeux et remède de mon âme !
Renonçant au péché qui me recevra ?
Qui pourra gémir sur mes plaies ?
Qui répondra pour moi ?
Qui me défendra contre les pharisiens ?
De quelle différente manière j'ai tenu ces pieds et je les ai lavés quand tu me permis de les toucher.
Ô amour de mes entrailles, que l'on me dise donc que je peux mourir avec toi !
Ô la vie de mon âme, comment puis-je dire que je t'aime puisque je suis vivante et que tu es mort devant mes yeux ?
Ainsi pleurait et se lamentait toute cette sainte compagnie, arrosant et lavant de ses larmes ce corps sacré.
Ensuite l'heure de la sépulture étant arrivée, ils enveloppèrent ce saint corps d'un linceul immaculé, placèrent sur sa tête un suaire et le portèrent sur un brancard jusqu'au sépulcre. Ils déposèrent là ce précieux trésor. Le sépulcre fut couvert d'une pierre et le cœur de la Mère de sombres et tristes ténèbres.
Là elle quitte une autre fois son Fils, là elle commence à sentir de nouveau son isolement, là elle se sent dépouillée de tout son bien.
Elle laisse là son cœur dans le sépulcre où elle laisse son trésor.

Louis de Grenade, in Méditations sur la Passion de Notre-Seigneur