dimanche 9 mars 2014

En professant... Joseph Ratzinger, Les tentations de Jésus

La descente de l'Esprit sur Jésus qui clôt la scène du baptême constitue une sorte d'inauguration formelle de sa charge. Ce n'est donc pas sans raison que les Pères ont vu dans cette action une analogie avec l'onction par laquelle, en Israël, les rois et les prêtres étaient officiellement investis de leur fonction. L'expression Christ-Messie signifie l'Oint : dans l'ancienne Alliance, l'onction était considérée comme le signe visible de l'attribution des dons requis par la fonction, du don de l'Esprit de Dieu pour la charge. À partir de là, en Isaïe (11, 2), se développe l'espérance d'un authentique Oint, dont l'onction consiste justement dans le fait que l'Esprit du Seigneur repose sur lui : « Esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur ». D'après le récit de saint Luc, Jésus, dans la synagogue de Nazareth, s'est présenté lui-même, et a présenté sa mission en utilisant une phrase semblable à celle d'Isaïe : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction » (Lc 4, 18 ; cf. Is 61, 1). Dans la conclusion de la scène du Baptême, il nous est dit que Jésus a reçu la véritable onction, qu'il est l'Oint attendu : à ce moment-là, lui a été formellement conférée la dignité royale pour l’histoire et devant Israël.
Désormais, le Christ est investi de cette mission. Les trois Évangiles synoptiques racontent, à notre surprise, que la première disposition de l'Esprit fut de le conduire au désert, « pour être tenté par le démon » (Mt 4, 1). L'action est précédée par un temps de recueillement, qui est aussi nécessairement une lutte intérieure pour la mission et une lutte contre les déformations de la mission, qui se présentent comme ses vrais accomplissements. C'est une descente dans les épreuves qui menacent l'homme, car c'est seulement ainsi que l'homme qui est tombé peut être relevé. Se tenant au cœur originaire de sa mission, Jésus doit entrer dans le drame de l'existence humaine, le traverser jusqu'au plus profond, afin de retrouver ainsi la brebis égarée, de la prendre sur ses épaules et de la ramener au bercail.
La descente de Jésus « aux enfers », dont parle le Credo, ne s'est pas seulement accomplie dans sa mort et après sa mort, elle fait à jamais partie de son cheminement : Jésus doit reprendre toute l'histoire à partir de ses commencements — depuis « Adam », la parcourir et en souffrir jusqu'au bout afin de pouvoir la transformer. La Lettre aux Hébreux a tout particulièrement insisté sur le fait que la mission de Jésus, sa solidarité avec nous tous, préfigurée dans le Baptême, implique qu'il s'expose aux menaces et aux épreuves de la condition humaine : « Il lui fallait donc devenir en tout semblable à ses frères, pour être, dans leurs relations avec Dieu, un grand prêtre miséricordieux et digne de confiance, capable d'enlever les péchés du peuple. Ayant souffert jusqu'au bout l'épreuve de sa Passion, il peut porter secours à ceux qui subissent l'épreuve » (He 2, 17 -18) . « En effet, le grand prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous, et il n'a pas péché » (He 4, 15). Le récit des tentations est donc étroitement lié à celui du Baptême, où Jésus devient solidaire des pécheurs. Il faut ajouter à cela la lutte du mont des Oliviers, l'autre grande lutte intérieure de Jésus pour sa mission. Mais les « tentations » accompagnent Jésus tout au long de son parcours, et le récit des tentations apparaît de ce point de vue — tout comme celui du Baptême — comme une anticipation, dans laquelle est comme condensée la lutte de tout son parcours.
Dans son bref récit des tentations (1, 13), Marc a mis en relief le parallèle avec Adam, l'acceptation douloureuse du drame de la condition humaine comme telle. Jésus « vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ». Le désert — image opposée à celle du jardin — devient le lieu de la réconciliation et du salut ; les bêtes sauvages, qui représentent la forme la plus concrète de la menace que font peser sur l'homme la rébellion de la création et la puissance de la mort, deviennent des amis comme au Paradis. La paix, qu'Isaïe a annoncée pour le temps du Messie, est rétablie : « Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau » (Is, 11, 6). Là où le péché est vaincu, là où l'harmonie de l'homme avec Dieu est rétablie, il s'ensuit la réconciliation de la création ; la création déchirée redevient alors un lieu de paix, comme le dira Paul en évoquant les gémissements de la création, qui « aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19).
Les oasis de la création, qui ont fleuri par exemple autour des monastères bénédictins en Occident, ne sont-ils pas des préfigurations de cette réconciliation de la création, qui vient des fils de Dieu ? Inversement, Tchernobyl, par exemple, n'est-il pas l'expression bouleversante de la création asservie et plongée dans l'obscurité de Dieu ? Marc conclut son bref récit des tentations par une phrase que l'on peut comprendre comme une allusion au Psaume 91 [90], 11 : « Et les anges le servaient ». Cette phrase se trouve aussi à la fin du récit plus développé des tentations chez Matthieu. C'est seulement à partir de ce contexte plus vaste qu'elle devient pleinement compréhensible.
Matthieu et Luc parlent de trois tentations, dans lesquelles se reflète la lutte intérieure de Jésus pour sa mission mais en même temps apparaît aussi la question concernant ce qui compte vraiment dans la vie des hommes. Ici se manifeste clairement le cœur de toute tentation : la mise à l'écart de Dieu qui, face à tout ce qui, dans notre vie, apparaît plus urgent, semble secondaire, voire superflu et ennuyeux. Mettre de l'ordre dans le monde par soi-même, sans Dieu, ne compter que sur soi, n'admettre comme réelles que les réalités politiques et matérielles en écartant Dieu comme illusion, telle est la tentation, qui nous menace sous de multiples aspects.
La nature de la tentation comprend aussi un comportement moral : elle ne nous invite pas directement au mal, ce serait trop grossier. Elle prétend nous montrer ce qui est meilleur : abandonner enfin les illusions et employer efficacement nos forces pour améliorer le monde. Elle se présente aussi avec la prétention du vrai réalisme. Le réel est ce qui se constate : le pouvoir et le pain. En comparaison, les choses de Dieu apparaissent comme irréelles, comme un monde secondaire, dont on n'a pas vraiment besoin.
Or, c'est de Dieu qu'il s'agit : est-il, oui ou non, la réalité même ? Est-il le Bien, ou devons-nous inventer nous-mêmes ce qui est bien ? La question de Dieu est la question fondamentale, qui nous place à la croisée des chemins de l'existence humaine. Que doit faire ou ne pas faire le Sauveur du monde ? Telle est la question que sous-tendent les tentations de Jésus. Chez Matthieu et Luc, les trois tentations sont identiques, seule leur succession diffère. Suivons la démarche de Matthieu pour la cohérence dans le déroulement ascendant de sa construction.
Jésus « après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, eut faim » (Mt 4, 2). Du temps de Jésus, le chiffre quarante était déjà chargé d'une riche signification symbolique pour Israël. Il nous rappelle d'abord les quarante années qu'Israël a passées dans le désert, qui furent le temps de sa tentation mais aussi le temps d'une proximité particulière de Dieu. Ensuite, il nous fait penser aux quarante jours que Moïse a passés sur le mont Sinaï, avant de pouvoir recevoir la parole de Dieu, les tables sacrées de l'Alliance. Il peut aussi évoquer le récit rabbinique selon lequel Abraham, sur le chemin du mont Horeb, où il aurait dû sacrifier son fils, s'est abstenu de tout aliment et de toute boisson pendant quarante jours et quarante nuits, se nourrissant de la vision et de la parole de l'ange qui l'accompagnait.
Dans une extension déjà quelque peu poussée de la symbolique des chiffres, les Pères ont aussi considéré le chiffre 40 comme le chiffre cosmique, le chiffre du monde dans son ensemble : les quatre points cardinaux délimitent le tout, et dix est le nombre des commandements. Le chiffre cosmique multiplié par le nombre de commandements devient l'expression symbolique de l'histoire de ce monde. En quelque sorte, Jésus parcourt de nouveau l'Exode d'Israël, puis les errements et les désordres de toute l'histoire. Les quarante jours de jeûne embrassent le drame de l'histoire, que Jésus assume en lui et supporte jusqu'au bout.
« Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains » (Mt 4, 3) — ainsi commence la première tentation. « Si tu es le Fils de Dieu » — nous entendrons encore ces mots dans la bouche de ceux qui se moqueront de Jésus au pied de la croix : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix » (Mt 27, 40). Le Livre de la Sagesse avait déjà envisagé cette situation : « Si ce juste est fils de Dieu, Dieu l'assistera » (Sg 2, 18). Dérision et tentation vont ici de pair : le Christ doit prouver ce qu'il prétend être, afin de devenir crédible. Cette demande de preuve traverse tout le cours de la vie de Jésus, où on lui reproche continuellement de ne pas se justifier assez clairement : il devrait accomplir le grand miracle qui, éliminant toute ambiguïté et toute contradiction, démontrerait à tout un chacun, de façon indiscutable, qui il est et ce qu'il est ou n'est pas.
Cette demande, c'est celle que nous aussi nous adressons à Dieu, au Christ et à son Église tout au long de l'histoire : Dieu, si tu existes, alors tu dois aussi te montrer. Alors tu dois déchirer le nuage qui te cache et nous donner la clarté à laquelle nous avons droit. Si toi, ô Christ, tu es vraiment le Fils et non un des illuminés qui ont paru continuellement dans l'histoire, alors tu dois te montrer plus clairement que tu ne le fais. Alors, tu dois donner à ton Église, si elle doit bien être la tienne, un degré d'évidence d'un autre ordre que celui dont elle dispose actuellement.
Nous reviendrons sur ce point quand nous arriverons à la deuxième tentation, dont il constitue le véritable centre.
La preuve de l'existence de Dieu que le tentateur propose dans la première tentation consiste à transformer les pierres du désert en pain. Au commencement, il s'agit de la faim de Jésus lui-même, ainsi que l'a vu saint Luc : « Ordonne à cette pierre de devenir du pain » (Lc 4, 3). Mais Matthieu interprète la tentation de façon plus large, telle qu'elle fut présentée à Jésus durant sa vie terrestre, et ensuite renouvelée à travers toute l'histoire.
Quoi de plus tragique, quoi de plus contraire à la foi en un Dieu bon et à la foi en un rédempteur des hommes que la faim de l'humanité ? Le premier critère d'identification du Rédempteur devant le monde et pour le monde ne devrait-il pas consister à donner du pain et à faire en sorte que cesse la faim de tout homme ? Quand le peuple d'Israël errait dans le désert, Dieu l'avait nourri en lui envoyant le pain du ciel, la manne. On croyait pouvoir déceler dans cet épisode une image du temps messianique : le Sauveur du monde ne devait-il pas, et ne doit-il pas toujours, montrer son identité en donnant à manger à tout le monde ? Le problème de la faim dans le monde et, plus généralement, les problèmes sociaux ne sont-ils pas le critère premier et authentique pour mesurer la rédemption ? Quelqu'un qui ne satisfait pas à ce critère peut-il à bon droit s'appeler Rédempteur ? On peut tout à fait comprendre que le marxisme ait précisément fait de cet idéal le cœur de sa promesse de salut : il aurait fait en sorte que toute faim cesse et que « le désert devienne du pain ».
« Si tu es le Fils de Dieu... », quel défi ! Ne doit-on pas le lancer aussi à l'Église ? Si tu veux être l'Église de Dieu, alors préoccupe-toi d'abord du pain pour le monde — le reste viendra après. Il est difficile de répondre à ce défi, justement parce que le cri des affamés nous pénètre et doit nous pénétrer très profondément dans l'oreille et dans l'âme. On ne peut pas comprendre la réponse de Jésus seulement à la lumière du récit des tentations. Le thème du pain traverse tout l'Évangile et doit être considéré dans toute son ampleur.
Il y a deux autres grands récits sur le pain dans la vie de Jésus. L'un est la multiplication des pains pour les milliers de personnes qui avaient suivi le Seigneur dans un lieu désert. Pourquoi accomplir maintenant un acte qui a été rejeté auparavant comme une tentation ? Les gens étaient venus pour entendre la parole de Dieu et, pour ce faire, ils avaient laissé tomber tout le reste. Et ainsi, en tant que personnes qui ont ouvert leur cœur à Dieu, puis les uns aux autres, ils peuvent recevoir le pain comme il se doit. Ce miracle suppose trois éléments : en premier il y a eu la quête de Dieu, de sa parole et de la juste orientation de la vie entière. Par ailleurs, le pain est demandé à Dieu. Enfin, la disponibilité réciproque au partage constitue un élément essentiel du miracle. L'écoute de Dieu devient une vie avec Dieu et elle conduit de la foi à l'amour, à la découverte d'autrui. Jésus n'est pas indifférent à la faim des hommes, à leurs besoins matériels, mais il les replace dans leur juste contexte et leur donne la place qui leur revient.
Ce deuxième récit sur le pain renvoie par avance au troisième et il en constitue la préparation : la dernière Cène, qui devient l'Eucharistie de l'Église et le miracle permanent de Jésus sur le pain. Jésus lui-même est devenu le grain de blé qui, en mourant, porte du fruit en abondance (cf. Jn 12, 24). Il est lui-même pain pour nous, et cette multiplication des pains durera de manière inépuisable jusqu'à la fin des temps. Ainsi, nous comprenons maintenant les paroles de Jésus, qu'il emprunte à l'Ancien Testament (cf. Dt 8, 3) pour repousser le tentateur : « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4). À ce sujet, il y a une phrase éclairante du jésuite allemand Alfred Delp, qui fut exécuté par les nazis : « Le pain est important, la liberté est plus importante, mais la chose la plus importante de toutes, c'est la fidélité constante et l'adoration jamais trahie ».
Là où cet ordre des biens n'est pas respecté, mais renversé, il n'y a plus alors de justice, on ne se soucie plus de l'homme qui souffre, mais se créent aussi des bouleversements et des destructions dans le domaine des biens matériels. Là où Dieu est considéré comme une grandeur secondaire que l'on peut écarter temporairement ou complètement, au nom de choses plus importantes, alors ces choses supposées plus importantes échouent aussi. L'issue négative de l'expérience marxiste n'est pas la seule à le montrer.
Les aides de l'Occident aux pays en voie de développement, fondées sur des principes purement techniques et matériels, qui non seulement ont laissé Dieu de côté, mais ont encore éloigné les hommes de Dieu par l'orgueil de leur prétendu savoir, ont fait du Tiers Monde le Tiers Monde au sens moderne. De telles aides ont écarté les structures religieuses, morales et sociales existantes et elles ont introduit leur mentalité techniciste dans le vide ainsi créé. Elles croyaient pouvoir transformer les pierres en pain, mais elles ont donné des pierres à la place du pain. Or il s'agit du primat de Dieu. Il s'agit de le reconnaître comme réalité, une réalité sans laquelle rien d'autre ne peut être bon.
L’histoire ne saurait être gouvernée par de simples structures matérielles, faisant abstraction de Dieu. Si le cœur de l'homme n'est pas bon, alors rien d'autre ne pourra le devenir. Et la bonté du cœur ne peut venir que de Celui qui est lui-même la Bonté, le Bien.
On peut, bien sûr, se demander pourquoi Dieu n'a pas créé un monde où sa présence serait plus manifeste ; pourquoi le Christ n'a pas laissé derrière lui une tout autre splendeur de sa présence, qui toucherait tout un chacun de manière irrésistible. C'est le mystère de Dieu et de l'homme, que nous ne pouvons pénétrer. Nous vivons dans ce monde, où Dieu n'a justement pas l'évidence du tangible, mais où il peut être cherché et trouvé uniquement par l'élan du cœur, l'exode d'Égypte. Dans ce monde, nous devons résister aux illusions de fausses philosophies et reconnaître que nous ne vivons pas seulement de pain, mais d'abord de l'obéissance à la parole de Dieu. C'est seulement là où cette obéissance est vécue que naissent et grandissent les sentiments qui permettent aussi de procurer du pain à tous.
Venons-en maintenant à la deuxième tentation de Jésus, dont la signification exemplaire est à beaucoup d'égards la plus difficile à comprendre. La tentation est à comprendre comme une sorte de vision, dans laquelle est résumée une réalité, une menace particulière pour l'homme et pour la mission de Jésus. D'emblée, un point nous intrigue. Pour attirer Jésus dans son piège, le diable cite l'Écriture Sainte : le Psaume 91 [90], qui évoque la protection que Dieu accorde à l'homme fidèle : « Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres » (v. 11-12). Ces paroles prennent une importance plus grande du fait qu'elles ont été prononcées dans la Ville sainte, dans le lieu saint. En effet, le psaume cité est lié au Temple ; celui qui le récite attend une protection dans le Temple, car la maison de Dieu doit être un lieu particulier de protection divine. En quel autre lieu l'homme qui croit en Dieu devrait-il se savoir plus à l'abri que dans l'enceinte sacrée ? 1 Le diable se révèle un connaisseur de l'Écriture, il est capable de citer le psaume avec précision. Tout le dialogue de la deuxième tentation se présente comme un débat entre deux experts en Écriture Sainte : le diable y fait figure de théologien, ainsi que nous le fait remarquer Joachim Gnilka.
Vladimir Soloviev a repris ce thème dans son Court récit sur l'Antéchrist : l'Antéchrist est fait docteur honoris causa en théologie de l'université de Tübingen ; c'est un grand expert de la Bible. Ainsi, Soloviev a voulu exprimer, de façon radicale, son scepticisme envers un certain type d'exégèse érudite de son temps. Il ne s'agit pas d'un refus de l'interprétation scientifique de la Bible en tant que telle, mais d'un avertissement particulièrement nécessaire et salutaire face à ses errances possibles. L'interprétation de la Bible peut effectivement devenir un instrument de l'Antéchrist. Ce n'est pas seulement Soloviev qui le dit, c'est ce qu'affirme implicitement le récit même des tentations. Les pires livres qui détruisent la figure de Jésus, qui démolissent la Foi, ont été écrits avec de prétendus résultats de l'exégèse.
De nos jours, la Bible est assujettie chez beaucoup au critère de la prétendue vision moderne du monde, dont le dogme fondamental est que Dieu ne peut nullement agir dans l'histoire, et que, par conséquent, tout ce qui le concerne est à reléguer dans la sphère du subjectif. Alors la Bible ne parle plus de Dieu, du Dieu vivant, mais c'est nous-mêmes seulement qui parlons et qui déterminons ce que Dieu peut faire et ce que nous voulons ou devons faire. Et l'Antéchrist nous dit alors, se présentant comme un grand érudit, qu'une exégèse qui lit la Bible dans la perspective de la foi au Dieu vivant, lui prêtant attention, relève d'une attitude fondamentaliste ; seule son exégèse, l'exégèse considérée comme authentiquement scientifique, dans laquelle Dieu lui-même ne dit rien et n'a rien à dire, serait à la pointe du progrès.
La dispute théologique entre Jésus et le diable est une dispute qui concerne chaque époque et qui a comme objet l'interprétation correcte de la Bible, dont la question herméneutique fondamentale est la question de l'image de Dieu. La dispute sur l'interprétation est en fin de compte une discussion qui porte sur qui est Dieu. Cette discussion autour de l'image de Dieu, dont il s'agit dans la dispute sur l'interprétation correcte de l'Écriture, trouve son expression concrète dans l'image du Christ : celui qui est resté sans pouvoir terrestre est-il réellement le Fils du Dieu vivant ?
Ainsi, la question concernant la structure de l'étrange dialogue sur l'Écriture entre Jésus et le Tentateur conduit directement au cœur de la question du contenu. De quoi est-il question ? On a associé cette tentation au thème du panem et circenses : après le pain, doit être offert quelque chose de sensationnel. Comme il ne suffit manifestement pas à l'homme d'être physiquement rassasié, celui qui ne veut pas laisser entrer Dieu dans le monde et dans les hommes doit offrir la stimulation d'expériences excitantes, dont le frémissement remplace et refoule l'émotion religieuse. Mais ce ne peut pas être le sens de ce passage, car, à ce qu'il semble, il n'y a pas de spectateurs.
L'enjeu apparaît dans la réponse de Jésus empruntée encore au Deutéronome (6, 16) : « Vous ne mettrez pas à l'épreuve le Seigneur votre Dieu ». Dans le Deutéronome, c'est une allusion à l'histoire d'Israël qui risquait de mourir de soif dans le désert. S'ensuit une rébellion contre Moïse qui devient une rébellion contre Dieu. Dieu doit montrer qu'il est Dieu. Dans la Bible, cette rébellion contre Dieu est décrite ainsi : « Ils avaient mis le Seigneur au défi en disant : "Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n'y est-il pas ?” » (Ex 17, 7). Il s'agit donc de ce que nous avons déjà mentionné précédemment : Dieu doit se prêter à l'expérimentation. Il est « mis à l'épreuve », comme on teste les marchandises. Il doit se soumettre aux conditions que nous considérons comme nécessaires à notre certitude. S'il n'accorde pas maintenant la protection promise par le Psaume 91 [90], alors il n'est pas Dieu. Alors il a falsifié sa parole, et de ce fait il s'est falsifié lui-même.
Nous avons ici devant nous dans sa totalité la grande question de savoir comment on peut connaître Dieu et comment on peut ne pas le connaître, comment l'homme peut être en relation avec lui et comment il peut le perdre.
La présomption qui veut transformer Dieu en objet et lui imposer nos conditions expérimentales de laboratoire ne saura trouver Dieu. Car il présuppose déjà que nous nions Dieu en tant que Dieu, parce que nous nous mettons au-dessus de lui, parce que nous mettons de côté toute la dimension de l'amour, de l'écoute intérieure, et que nous ne reconnaissons comme réel que ce dont on peut faire l'expérience, que ce qui a été mis entre nos mains. Celui qui pense ainsi se fait lui-même Dieu et rabaisse ainsi non seulement Dieu mais aussi le monde et lui-même.
À partir de cette scène sur le pinacle du Temple, le regard s'ouvre également sur la Croix. Le Christ ne s'est pas jeté du pinacle du Temple. Il n'a pas sauté dans l'abîme. Il n'a pas mis Dieu à l'épreuve. Mais il est descendu dans l'abîme de la mort, dans la nuit de l'abandon ; il s'est exposé comme un être sans défense. Il a osé ce saut-là comme acte d'amour de Dieu pour les hommes. Et donc il savait qu'en sautant, il ne pouvait tomber finalement qu'entre les mains clémentes du Père. Ainsi apparaît le sens véritable du Psaume 91 [90], le droit à la confiance extrême et illimitée, dont il parle : celui qui fait la volonté de Dieu sait qu'au milieu de toutes les terreurs qu'il traverse, il ne perdra jamais une ultime protection. Il sait que le fondement du monde est l'amour et que, par conséquent, même là où aucun humain ne peut ou ne veut l'aider, il peut continuer à cheminer dans la confiance en Celui qui l'aime. Cette confiance, à laquelle l'Écriture nous autorise et à laquelle le Seigneur, le Ressuscité, nous invite, est quelque chose de tout à fait autre que le défi aventureux adressé à Dieu, qui voudrait faire de Lui notre serviteur.
Venons-en maintenant à la troisième et dernière tentation, point culminant de tout le récit. Le diable emmène le Seigneur en vision sur une haute montagne. Il lui montre tous les royaumes de la terre avec leur splendeur et il lui offre la domination du monde. N'est-ce pas justement la mission du Messie ? Ne doit-il pas être le roi du monde qui réunira la terre entière dans un grand royaume de paix et de bien-être ? Comme la tentation du pain a deux correspondants singuliers dans l'histoire de Jésus, la multiplication des pains et la dernière Cène, il en va de même ici.
Le Seigneur ressuscité réunit les siens « sur la montagne » (Mt 28, 16). Et à ce moment-là, il dit effectivement : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28, 18). Ici nous trouvons deux aspects nouveaux et différents : le Seigneur a pouvoir au ciel et sur la terre. Et seul celui qui est doté de tout ce pouvoir a le pouvoir authentique, salvifique. Sans le ciel, le pouvoir terrestre reste toujours ambigu et fragile. Seul le pouvoir qui accepte le critère et le jugement du ciel, c'est-à-dire de Dieu, peut devenir un pouvoir orienté vers le bien. Et seul le pouvoir qui se place sous la bénédiction de Dieu peut être fiable.
À cela s'ajoute encore un autre aspect : Jésus a ce pouvoir en tant que ressuscité, ce qui signifie que ce pouvoir présuppose la croix, présuppose sa mort. Il présuppose l'autre montagne — le Golgotha —, où il meurt, suspendu à la croix, moqué par les hommes et abandonné des siens. Le Royaume du Christ est différent des royaumes du monde et de leur splendeur, que Satan lui donne à voir. Cette gloire-là est, comme le dit le mot grec doxa, une apparence qui se dissipe. Le Royaume du Christ n'a pas une telle splendeur. Grâce à l'humilité de la prédication, il grandit en ceux qui veulent se faire ses disciples, qui seront baptisés au nom du Dieu Trinité et qui observeront ses commandements (cf. Mt 28, 19-20).
Mais revenons à la tentation. Son vrai contenu devient visible lorsque nous constatons que, dans l'histoire, elle prend sans cesse une forme nouvelle. L'Empire chrétien a cherché très tôt à transformer la foi en un facteur politique pour l'unité de l'Empire. Le règne du Christ devait donc prendre la forme d'un royaume politique et de sa splendeur. La faiblesse de la foi, la faiblesse terrestre de Jésus Christ devait être soutenue par le pouvoir politique et militaire. Au cours des siècles, cette tentation — asseoir la foi par le pouvoir — est revenue continuellement, sous des formes diverses, et la foi a toujours couru le risque d'être étouffée sous l'étreinte du pouvoir. Le combat pour la liberté de l'Église, combat parce que le royaume de Jésus ne peut être identifié à aucune structure politique, doit être mené tout au long des siècles. Car la confusion entre la foi et le pouvoir politique a toujours un prix : la foi se met au service du pouvoir et doit se plier à ses critères.
Dans le récit de la Passion du Seigneur, l'alternative dont il est question ici apparaît sous une forme provocante. Au point culminant du procès, Pilate fait choisir entre Jésus et Barrabas. L'un des deux sera libéré. Mais qui est Barabbas ? D'ordinaire, nous avons en mémoire la formulation de l'Évangile de Jean : « Ce Barabbas était un bandit » (Jn 18, 40). Dans la situation politique qui régnait à l'époque en Palestine, le mot grec utilisé pour bandit a une connotation particulière. Il signifiait plutôt une sorte de « combattant de la résistance ». Barabbas avait participé à une émeute (cf. Mc 15, 7) et, dans ce contexte, il était en outre accusé de meurtre (cf. Lc 23, 19-25). Quand Matthieu dit que Barabbas était un « prisonnier bien connu », il ressort qu'il avait été un des résistants les plus éminents, voire le véritable meneur de cette émeute (cf. Mt 27, 16).
Autrement dit : Barabbas était une figure messianique. Le choix entre Jésus et Barabbas n'est donc pas fortuit : deux figures messianiques, deux formes du messianisme s'opposent. Cela devient encore plus évident lorsque nous prenons en compte que « Bar-Abbas » signifie fils du père. C'est une désignation typiquement messianique, le nom religieux d'un des chefs éminents du mouvement messianique. La dernière grande guerre messianique des Juifs a été menée en 132 par Bar-Kokhba, fils de l'étoile. Le nom est formé de la même façon, la même intention est affichée.
Chez Origène, nous trouvons un autre détail intéressant : dans beaucoup de manuscrits des Évangiles jusqu'au IIIe siècle, l'homme en question s'appelait « Jésus Barabbas », Jésus fils du père. Il se présente comme une sorte d'alter ego de Jésus, qui revendique la même prétention, mais de façon très différente. Le choix est donc entre un Messie qui est à la tête d'un combat, qui promet la liberté et son propre royaume, et ce mystérieux Jésus qui proclame de se perdre soi-même pour trouver le chemin vers la vie. Faut-il s'étonner que les foules aient préféré Barabbas ? 2
Si nous devions choisir aujourd'hui, Jésus de Nazareth, le fils de Marie, le Fils du Père, aurait-il une chance ? Mais connaissons-nous vraiment Jésus ? Le comprenons-nous ? Ne devons-nous pas chercher à le connaître de manière complètement nouvelle, hier comme aujourd'hui ? Le tentateur n'a pas la grossièreté de nous inciter directement à adorer le diable. Il nous incite seulement à choisir ce qui est rationnel, à donner la priorité à un monde planifié et organisé, où Dieu en tant que question privée peut avoir une place, sans avoir pourtant le droit de se mêler de nos affaires essentielles. Soloviev attribue un livre à l'Antéchrist, Le Chemin public vers la paix et le bien-être du monde, livre qui devient pour ainsi dire la nouvelle Bible dont le contenu véritable est l'adoration du bien-être et de la planification raisonnable.
La troisième tentation de Jésus se révèle ainsi comme la tentation fondamentale. La question qu'elle pose est de savoir ce que doit faire un sauveur du monde. Et cette question traverse toute la vie de Jésus. Elle se manifeste encore une fois clairement à un tournant décisif de son chemin. Au nom des disciples, Pierre avait exprimé sa confession de foi en Jésus Messie-Christ, le Fils du Dieu vivant, donnant ainsi une expression à la foi qui construit l'Église et qui inaugure la nouvelle communauté de foi fondée sur le Christ. Mais précisément à ce moment crucial où, face à « l'opinion des gens », se manifeste la connaissance spécifique et décisive de Jésus, et où commence alors à se former sa nouvelle famille, voici le tentateur : le danger de tout inverser. Le Seigneur explique immédiatement que le concept de Messie doit être compris à partir de l'ensemble du message prophétique : cela ne signifie pas un pouvoir terrestre, mais la croix et une communauté complètement différente qui naît par la croix.
Cependant, Pierre ne l'avait pas entendu ainsi : « Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : "Dieu t'en garde, Seigneur ! Cela ne t'arrivera pas" » (Mt 16, 22). Si nous lisons ces paroles dans le contexte du récit des tentations, comme leur nouvelle évocation au moment décisif, alors nous comprenons la réponse incroyablement dure de Jésus : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16, 23).
Mais, tous, ne continuons-nous pas sans cesse à dire à Jésus que son message conduit à contredire les opinions dominantes et qu'ainsi il risque l'échec, la souffrance et la persécution ? Aujourd'hui, l'Empire chrétien ou la papauté temporelle ne constituent plus une tentation, mais voir dans le christianisme une recette conduisant au progrès et reconnaître le bien-être commun comme la véritable finalité de toute religion, et donc aussi de la religion chrétienne, telle est la nouvelle forme de cette même tentation. Aujourd'hui, elle apparaît sous la forme de la question suivante : que nous a apporté Jésus s'il n'a pas fait advenir un monde meilleur ? Ne serait-ce pas là le contenu de l'espérance messianique ?
Dans l'Ancien Testament, deux espérances se confondent encore sans se différencier : l'attente d'un monde sain, où le loup reposera à côté de l'agneau (cf. Is 11, 6), où les peuples du monde se mettront en route vers le mont Sion et pour lequel vaut la prophétie : « De leurs épées, ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances, des faucilles » (Is 2, 4 ; cf. Mi 4, 1-3). Mais à côté, il y a la perspective du serviteur de Dieu en proie à la souffrance, celle d'un Messie qui sauve en endurant le mépris et la souffrance tout au long de son chemin ; et encore, dans les rencontres postpascales, Jésus allait montrer à ses disciples que Moïse et les prophètes parlaient de lui, de celui qui n'a pas de pouvoir apparent, qui souffre, qui est crucifié et qui est ressuscité ; il devait montrer que c'est ainsi que s'accomplissaient les promesses. « Vous n'avez donc pas compris ! comme votre cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! » — c'est ainsi que le Seigneur s'adresse aux disciples d'Emmaüs (Lc 24, 25) et c'est ainsi qu'il doit toujours nous parler à travers les siècles, car nous continuons de penser que, si Jésus voulait être le Messie, il aurait dû nous apporter l'âge d'or.
Mais Jésus nous dit aussi ce qu'il a opposé à Satan, ce qu'il a dit à Pierre et qu'il a expliqué de nouveau aux disciples d'Emmaüs : aucun royaume de ce monde n'est le Royaume de Dieu, la condition du salut de l'humanité par excellence. Le royaume humain reste un royaume humain, et celui qui affirme qu'il peut ériger un monde sauvé approuve l'imposture de Satan et fait tomber le monde entre ses mains.
Dès lors, nous sommes confrontés à la grande question qui nous accompagnera tout au long de ce livre : qu'est-ce que Jésus a vraiment apporté, s'il n'a pas apporté la paix dans le monde, le bien-être pour tous, un monde meilleur ? qu'a-t-il apporté ?
La réponse est très simple : Dieu. Il a apporté Dieu. Il a apporté le Dieu dont la face s'est lentement et progressivement dévoilée depuis Abraham jusqu'à la littérature sapientielle, en passant par Moïse et les Prophètes — le Dieu qui n'avait montré son vrai visage qu'en Israël et qui avait été honoré dans le monde des gentils sous des avatars obscurs, c'est ce Dieu-là, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu véritable qu'il a apporté aux peuples de la terre.
Il a apporté Dieu : dès lors, nous connaissons sa face, dès lors nous pouvons l'invoquer. Dès lors, nous connaissons le chemin que, comme hommes, nous devons emprunter dans ce monde. Jésus a apporté Dieu et avec lui la vérité sur notre origine et notre destinée ; la foi, l'espérance et l'amour. Seule la dureté de notre cœur nous fait considérer que c'est peu de chose. Assurément, le pouvoir de Dieu dans le monde est discret, mais c'est le pouvoir véritable, durable. Encore et toujours, la cause de Dieu semble continuellement comme à l'agonie. Mais elle se montre toujours comme ce qui véritablement demeure et sauve. Les royaumes du monde, que Satan a pu montrer jadis au Seigneur, se sont tous écroulés entre-temps. Leur gloire, leur Doxa, n'était qu'apparence. Mais la gloire du Christ, la gloire de son amour, faite d'humilité et d'acceptation de la souffrance, n'a pas décliné et ne déclinera pas.
Du combat contre Satan, Jésus sort vainqueur : à la divinisation fallacieuse du pouvoir et du bien-être, à la promesse fallacieuse d'un avenir garantissant tout à tous, en vertu du pouvoir et de l'économie, il a opposé la nature divine de Dieu — Dieu comme véritable bien de l'homme. À l'invitation qui lui est faite d'adorer le pouvoir, le Seigneur oppose les paroles du Deutéronome, le livre même que le diable avait déjà cité : « C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu adoreras » (Mt 4, 10 ; cf. Dt 6, 13). Le commandement fondamental pour Israël est aussi celui des chrétiens : seul Dieu doit être adoré. Plus loin, lorsque nous réfléchirons sur le Sermon sur la montagne, nous verrons que cette adhésion inconditionnelle au premier commandement du Décalogue inclut aussi une adhésion au deuxième : le respect de l'homme, l'amour du prochain. Chez Matthieu, le récit de la tentation se conclut, comme chez Marc, par ces mots : « Des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient » (Mt 4, 11 ; cf. Mc 1, 13). Dès lors, s'accomplit le Psaume 91 [90], 11 : les anges le servent. Il s'est révélé comme Fils, c'est pourquoi le ciel s'est ouvert au-dessus de lui, le nouveau Jacob, le père d'un Israël devenu universel (cf. Jn 1, 51 ; Gn 28, 12).
Joseph Ratzinger, in Jésus de Nazareth I (Flammarion)

1. Voir à ce sujet plus en détail J. Gnilka, Das Matthaüsevangelium, op. cit. p88.
2. Voir à ce sujet l’important ouvrage de Vittorio Messori, Pati sotto Ponzio Pilato, Turin (1922), p52-56.