samedi 4 mai 2013

En dessinant... Marino Vagliano



Marino
Tout en réalisant des courts métrages de fiction, des documentaires sur des artistes, Marino a toujours dessiné. Et bientôt, il y consacrera sa vie. De l'image cinématographique à l'image picturale, pour lui, il n'y a qu'un pas : « J'y ai gagné une liberté nouvelle. Je n'avais plus de comptes à rendre à personne sinon peut-être à moi-même... ». L'enjeu est pourtant d'une tout autre nature, plus hasardeux, plus ambitieux et plus vaste.
Si miracle il y a, il est bien dans cette tentative de donner corps à une forme surgie du néant d'un papier blanc ou d'une toile blanche. Et ce geste primordial, sans doute héroïque, est celui de l'artiste véritable. Minutieusement, chaque jour, avec l'humilité de l'artisan « qui cent fois sur le métier... », il pose un premier trait porteur d'une vibration nouvelle. C'est dans ce passage de la fragilité à la force que réside la création. Premier trait, première note d'une symphonie inconnue... Avec son fusain, sa mine de plomb, son pinceau ou son pastel, Marino en guide, chemin faisant, l'évolution : « tout se fait en cours de route. Une forme peu à peu se construit à partir de presque rien, en laissant filer l'inconscient... ». Il ajoute : « En fait, je dessine, je peins ce que je ne vois pas ». Parfois, — ce qui peut sembler paradoxal dans sa démarche — il a recours à un modèle dont les formes l'inspirent. Mais il ne s'agit en aucune façon de reproduire, ni même de s'adosser à une forme préexistante. Non, c'est juste un point d'ancrage, un retour au réel qui lui permet à partir d'un point, de repartir à zéro pour ensuite reconstruire.
Dans son atelier de Choisy, sous de larges lampes zénitales, il est assis à sa table de bois posée sur un sol de béton peint de couleurs chaudes à la mexicaine. C'est ainsi qu'il travaille. Les chevalets debout lui serviront plus tard à observer longuement ce qu'il a fait, avec le recul nécessaire. Tous ses outils sont à portée de main et dans des tiroirs entrouverts : du rouge de cadmium, du noir oxyde, de l'ocre jaune, du vert Véronèse... Autour de lui, à plat sur la table et posés à même le sol, de multiples dessins épars se chevauchent : ce sont des apparitions, des créatures décalées qui semblent venues d'ailleurs... Ce sont des insectes, des êtres humains, des extra terrestres à la fois inquiétants et naïfs, en suspens dans les airs. Ils sont à la fois graciles et forts, massifs ou transparents et interrogateurs. On ne sait jamais s'ils dérangent ou si c'est nous qui les dérangeons.
Ils ont l'air de dire : « aimez moi comme je suis ». C'est un fabuleux bestiaire de danseurs en apesanteur composés d'une matière qui a volé en particules. On pense aux Djinns de Victor Hugo :
Volant dans l'espace vide
Semblent un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc...
Ces êtres fantomatiques de Marino secouent notre imaginaire. Leurs regards et leurs sourires sont déconcertants, à la fois désabusés et ironiques. Avec leurs formes déformées, leurs membres atrophiés, contre toute attente, ils ne sont jamais monstrueux. Bien au contraire, ils exercent une étrange séduction qui s'accroît lorsqu'on veut les saisir. Et lorsqu'on croit les tenir, ils vous échappent car ils n'appartiennent à personne.
Qu'on évoque Toledo en pensant aux aplats de matière de ses toiles, ou bien Wols pour ce qui est de la transparence de ses dessins, cela reste fondé mais de peu d'importance. Le monde que nous donne à voir Marino est sans aucun doute un autre monde. Nous sommes ici dans une autre fluidité des choses.
Le chemin parcouru est celui qui va du chaos à l'harmonie. Vaste programme ! dans lequel Marino glisse une légère touche de cocasserie. C'est le clin d'œil de l'artiste, la distance qui rend les choses humaines.
Au bout du compte, l'œuvre de Marino donne raison à Braque : « L'art est une blessure qui se termine en lumière ».
Jean-Marie BARON
Paris, octobre 2012
Retour d'Egypte

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