mardi 29 janvier 2013

En nommant... Timothy Radcliffe, la vie du baptisé est une vocation

La cérémonie du baptême commence par des questions, dont la première concerne le nom du candidat. On demande aux adultes : « Quel est votre nom ? » Au début du carême, les noms de ceux qui se préparent au baptême sont inscrits sur un registre, car désormais ils sont membres de « la maisonnée du Christ ». Ils ont commencé à en faire partie. Dans les toutes premières descriptions de la demande de baptême, pour exprimer en quoi cela consistait, on disait que quelqu'un « donnait son nom »1. La première question posée aux parents d'un enfant au baptême est : « Quel nom avez-vous choisi pour votre enfant ? »
L'une des premières tâches d'Adam dans la Genèse est de nommer. Dieu amène tous les animaux à Adam pour voir quels noms il leur donnerait. C'étaient des êtres vivants, et l'homme donna un nom à chacun (Gn 2, 19). Nommer, ce n'est pas seulement coller des étiquettes sur des choses pour nous rappeler ce que c'est. Nous prenons part à l'action de Dieu dans la création d'un monde ordonné et lourd de sens.
Toute chose existe parce que Dieu la convoque à être en la nommant. Au commencement Dieu dit : « Que la lumière soit », et la lumière fut ; qu'il y ait le soleil et lune ; qu'il y ait des arbres et des plantes, des oiseaux et des poissons. Dieu appelle à l'existence ce qui n'existait pas (Rm 4, 17). Ce n'est pas là une explication de l'univers qui entrerait en concurrence avec les théories du big-bang ou de l'évolution darwinienne. C'est la reconnaissance de l'étonnante gratuité de tout ce qui existe, c'est le miracle qu'il y ait quelque chose plutôt que rien. Chaque chose qui existe dit « oui » à Dieu par le seul fait d'être elle-même : Les étoiles brillent, joyeuses, à leur poste de veille ; il les appelle, et elles répondent « nous voici ! », elles brillent avec joie pour celui qui les a faites (Ba 3, 34). Les étoiles disent joyeusement oui à Dieu par leur éclat. Ce n'est pas la négation d'une quelconque explication scientifique de la naissance des étoiles, des géantes rouges ou des naines bleues. En fait la compréhension scientifique peut nous aider à parvenir à l'émerveillement, minuscule étincelle de l'étonnante gratuité de l'existence.
Nous collaborons avec Dieu en donnant des noms qui mettent en lumière ce que sont les choses. L'invention des langues parlées, les sept mille langues différentes de l'humanité, les noms donnés aux plantes et aux montagnes, les fines nuances du vocabulaire musical, les langages médicaux, le langage poétique, le tendre langage de l'amour, les langages juridiques, les langages philosophiques, les langages scientifiques, les mots obscurs du cybermonde, le jargon, les dialectes, tout cela prend part au perpétuel combat de l'être humain pour donner du sens à notre monde. Dieu n'a pas créé la terre comme un désert, il l'a formée pour qu'elle soit habitée (Is 45, 18). Quand nous nommons quelque chose, nous prenons part à l'action de Dieu qui crée un monde plein de sens dans lequel nous pouvons nous épanouir.
Mais Adam a besoin de plus que les seuls animaux. Il nomme Ève, qui à son tour l'appelle par son nom. Les êtres humains s'épanouissent quand ils se nomment les uns les autres. La création de bébés est plus que la simple pénétration de l'œuf par le sperme, conduisant à la grossesse et à la naissance. Le bébé est nommé pour qu'on puisse s'adresser à lui et qu'il parvienne à répondre. Ses parents et sa famille vont tourner autour de son berceau en faisant de drôles de têtes, en pinçant ses grosses joues et en l'appelant par son nom. On devient vivant en étant nommé dans l'amour. Votre nom ne court pas de risques dans la bouche de ceux qui vous aiment. Quand on aime quelqu'un, il est impossible que son nom ne vienne pas dans la conversation. On n'a que son nom à la bouche ; on le savoure. C'est une manière de dévoiler le secret de notre affection grandissante pour une personne : « Marie aime bien ce film elle aussi ; Marie va aller en vacances à Barcelone l'an prochain ; Marie aussi aime le curry ».
Le père Gregory Boyle, un jésuite qui s'occupe des jeunes embarqués dans la guerre des gangs de Los Angeles, a rapidement appris que la première chose à faire était de découvrir leur nom. Ils sont souvent surpris qu'il veuille les connaître ; et souvent leur réaction est celle-ci : « Qui ? Moi ? » Il lui faut doucement les persuader de dévoiler leur nom, au-delà de leur surnom, de leur nom de famille, de leur nom officiel, en allant jusqu'au nom que leur donne leur mère quand elle n'est pas en colère. Boyle décrit un tel moment avec un enfant surnommé Sniper : « Je le regarde partir vers un endroit un peu éloigné, où il n'était pas allé depuis pas mal de temps. Sa voix, son corps, sa façon de parler, tout son être prend une nouvelle apparence, là, devant mes yeux. Parfois — sa voix est très douce, je le souligne — parfois... quand maman n'est pas fâchée contre moi... elle m'appelle... Napito »2. Pas étonnant que les murs de nos villes soient couverts de noms gribouillés. Ce sont des gamins qui ont besoin de se rappeler à eux-mêmes qu'ils ont un nom. Peut-être « défigurent-ils » nos villes ; mais chaque graffiti rappelle quelqu'un dont le visage attend d'être reconnu.
Les parents choisissent des prénoms pour toutes sortes de raisons : à cause de l'endroit où l'enfant a été conçu — Paris Hilton, Brooklyn Beckham — ou bien parce que le nom est celui d'un membre de la famille ou d'un ami, celui d'une célébrité, d'un membre de la famille royale (William est un prénom de garçon très en vogue en Grande-Bretagne), d'un footballeur, d'une vedette de cinéma ou d'un chanteur pop. Les noms manifestent comment nous sommes le fruit du passé, comment nous appartenons au présent et quels sont les rêves de nos parents pour notre avenir.
Mais les noms peuvent aussi servir à exprimer du mépris ou à dénigrer des gens. Aux États-Unis, les patrons d'esclaves refusaient que ceux-ci utilisent leurs noms africains. Ils leur imposaient de nouveaux noms : Billy, Tom, Beth. Joseph Bruchac, un Indien d'Amérique de descendance abenaki, exprime dans un poème intitulé Baptême comment les noms peuvent nous ouvrir à la vie, ou bien nous opprimer :
Croyant que les gens
Étaient ou devenaient
Ce que désignait leur nom,
Ils se levaient avec le soleil,
Se nommaient eux-mêmes Aigle
Renard, Loutre, Faucon,
Ours sauvage et Cerf.
Puis de nouveaux venus arrivèrent ;
Depuis des temps immémoriaux,
Puisque leurs arrière-grands-pères avaient cherché
À soumettre rocs et torrents,
À posséder forêts et plaines,
Ils s'étaient donné
Les noms de Farmer (Paysan),
Smith (Forgeron) et Weaver (Tisserand),
Joiner (Menuisier), Carpenter (Charpentier),
Stoner (Casseur de pierres), Wright (Charron).
Puis ils donnèrent
Au peuple premier de nouveaux noms ;
Les hommes du gouvernement et les prédicateurs riaient
Quand ils baptisaient des Washington,
Wilson, Garcia, Smith,
Et ils s'attendaient à les voir changer.
Aujourd'hui encore,
Quand les noms dernier cri,
Citoyen, Band, Surgénérateur,
Portée de missile, Mine à ciel ouvert et Pipeline
Ont commencé à faire leur apparition,
Et à s'installer là où on avait auparavant Abri à barque,
Wigwam et Tipi (tentes), Wickiup et Hogan (huttes),
Les choses ne se sont pas terminées comme elles auraient dû.
Quelque part, se dit-on à l'oreille,
Sur les bords déchirés
D'un pays inachevé
Le soleil se lève et murmure de nouveau
Des noms que nous n'avons pas encore entendus,
Des noms qui ne tarderont pas à être prononcés.3
Quand les nazis sont arrivés au pouvoir en Allemagne et en Autriche, ils ont estampillé les cartes d'identité des juifs avec de nouveaux prénoms. Tous les hommes étaient appelés « Israël » et toutes les femmes « Sara ». Ces deux noms les identifiaient comme juifs, tout en effaçant leur individualité. C'était un avant-goût de ce qui allait se passer à Auschwitz, une parodie de la véritable attribution d'un nom, une déconstruction de la création de Dieu.
Les noms de la plupart des gens sont oubliés quelques années après leur mort. Ils disparaissent sans laisser de traces. Dans History Boys d'Alan Benett, Hector, le professeur, explique le poème « Le Tambour Hodge » de Thomas Hardy à l'un de ses élèves :
Ce qui est important c'est qu'il a un nom. Vous voyez, Hardy écrit sur les guerres zoulous ou plus tard, peut-être sur celle des Boers ; ce furent les premières campagnes où les soldats... les soldats ordinaires.., furent commémorés, les noms des morts consignés par écrit et inscrits sur un mémorial de guerre. Auparavant, les soldats... les simples soldats en tout cas, étaient tous des soldats inconnus et n'étaient pas honorés, bien au contraire : au XIXe siècle, il y avait une entreprise, dans le Yorkshire bien entendu, qui ramassait leurs os sur les champs de bataille pour les broyer et en faire de l'engrais.
Quand nous sommes baptisés, nos noms sont consignés sur un registre. C'est plus qu'un simple enregistrement de notre appartenance à l'Église, comme lorsque quelqu'un s'inscrit à un club ou reçoit la citoyenneté. C'est un signe que nos noms sont précieux aux yeux de Dieu. Nous sommes enrôlés comme membres de la maisonnée du Christ et nous appartenons ainsi à celui qui n'oublie jamais personne : Une femme peut-elle oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l'oublier, moi, je ne t'oublierai pas. Vois, que je t'ai gravé sur les paumes de mes mains (Is 49, 15-16).
Herbert McCabe écrivait : « Nous ne sommes pas seulement des "êtres humains" mais des "devenirs humains"… car, pour nous, être c'est avoir un temps de vie, un développement... notre temps de vie est une histoire de vie »4. Ce qui nous modifie, c'est d'entrer dans des conversations qui nous maintiennent ouverts. Nos noms ne font pas que nous identifier ; quand ils sont prononcés, c'est pour nous un appel à réagir, à nous joindre à la conversation et à devenir ainsi ceux que Dieu a créés pour les faire être. Sainte Catherine de Sienne disait à Stefano Di Corrada Maconi : « Si vous êtes ce que vous devez être, vous mettrez le feu dans toute l'Italie »5. Dans la Bible, Dieu appelle des personnages par de nouveaux noms pour signifier qu'ils ont une vocation nouvelle à créer son peuple. Abram devient Abraham (Gn 17, 5) et Saraï devient Sara (Gn 17, 15), parce qu'ils deviendront les ancêtres d'une grande nation, plus nombreuse que les étoiles. Jacob devient Israël (Gn 32, 29) comme le père des douze tribus. Et Simon devient Pierre, le Roc, celui sur lequel Jésus va bâtir son Église.
Selon toutes les manières dont notre nom est prononcé, nous sommes appelés à nous épanouir ou bien nous sommes dénigrés et opprimés. Nos noms sont prononcés avec amour ou avec mépris. Quand on s'adresse à nous avec affection — comme nos parents, nos amis, nos conjoints —, c'est un écho de la façon dont Dieu s'adresse à nous. Augustin se demandait pourquoi Dieu était silencieux pendant son enfance, puis il s'est rendu compte ensuite que Dieu s'était sans cesse adressé à lui à travers sa mère : « De qui étaient-elles, ces paroles, que tu as proférées à mes oreilles par l'intermédiaire de ma mère, ta fidèle servante, sinon de toi ? »6 C'est là Dieu qui commence à nous appeler à l'amitié et à la liberté.
Nos noms personnels peuvent suggérer ce que nous avons à devenir, notre vocation. L'évangile de Luc commence dans le Temple avec Zacharie, à qui est dévoilé le nom qu'il donnera à son fils bientôt à naître : Tu le nommeras Jean (Le 1, 13). Jean n'était pas un nom de sa famille. Le nom « Jean » implique qu'il quittera sa famille pour une vocation que ses parents ne peuvent encore ni comprendre ni imaginer. Son père devra le laisser partir pour l'œuvre du Seigneur :
Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l'enfant. Ils voulaient le nommer Zacharie comme son père. Mais sa mère déclara : « Non, il s'appellera Jean ». On lui répondit : « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! » On demandait par signes au père comment il voulait l'appeler. Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : « Son nom est Jean ». Et tout le monde en fut étonné. À l'instant même, sa bouche s'ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu [Le 1, 59-64].
Jean était un nom courant. Il signifie : « Le Seigneur a fait grâce ». Habituellement, la grâce, la miséricorde consistait dans le don qu'était l'enfant lui-même ; mais il exprime ici la vocation du bébé à être celui qui proclame que, dans son cousin Jésus, la grâce de Dieu fait irruption dans nos vies. Les noms peuvent donc être des signes de notre destinée.
Gregory David Roberts est un Australien qui connut une vie de violence et de crime avant d'être envoyé en prison. Il s'évada et partit pour l'Inde. Dans une biographie légèrement romancée, il décrit comment il découvrit progressivement qui il était appelé à être ; un tournant décisif dans sa vie fut un séjour dans un village hindou. Les femmes du village lui donnèrent un nouveau nom, Shantaram, qui signifie « l'homme de paix » ou « l'homme de la paix de Dieu ».
Il était arrivé dans ce village comme criminel endurci. Son visage et son corps disaient : « Ne me cherchez pas ». Mais les villageois ne pouvaient pas lire ce langage corporel australien. Et chaque fois qu'il essayait d'avoir un regard de brute, ils riaient et lui donnaient une petite tape sur l'épaule. Puis ils lui donnèrent son nouveau nom, qu'il reçut comme sa vocation, alors qu'il se tenait près d'une rivière sous la pluie :
Je ne sais pas s'ils ont trouvé ce nom dans le cœur de l'homme que j'étais à leurs yeux, ou bien s'ils l'y ont planté, comme une baguette magique, avec laquelle on fait des vœux, pour qu'il grandisse et fleurisse. Quoi qu'il en soit, qu'ils aient découvert cette paix ou qu'ils l'aient créée, la vérité est que l'homme que je suis est né dans ces moments-là, alors que je me tenais près des eaux gonflées, le visage levé vers la pluie chrismale. Shantaram. L'homme meilleur que, lentement, et beaucoup trop tard, j'ai commencé à être.
Mes parents ont nommé leurs enfants d'après les saints fêtés le jour de notre naissance, pour autant que ce ne fût pas trop affreux. Je suis né à la fête des saints Timothy, Hippolytus et Symphorianus. Je m'en suis tiré à bon compte, même si le grand-oncle qui m'avait baptisé utilisait, pour m'écrire à l'école, le titre de Maître Timothy Hippolytus Symphorianus Radcliffe, ce qui suscitait beaucoup de railleries à mon égard. Timothée signifie « celui qui honore Dieu ». Cela ne me décrit pas fidèlement ; mais mon nom est une invitation à devenir cette personne. Tous les noms n'évoquent pas un parcours à suivre. Un de mes amis s'appelle Graham, nom qui, m'a-t-on dit, signifie « carrière de gravier », ce qui n'est pas, je l'espère, sa glorieuse destinée. La comédie d'Oscar Wilde L'Importance d'être constant joue sur la façon dont un nom peut ou ne peut pas promettre un avenir. La bien-aimée ne voulait se marier qu'avec quelqu'un portant un nom honorable comme Ernest. Les membres des ordres religieux prennent souvent un nouveau nom quand ils s'engagent dans un nouveau mode de vie. Le maître des novices me menaça de me donner le nom de Cuckoofat (« gros coucou »). Ce Cuckoofat avait dû être un magnifique saint espagnol ; mais je n'aurais pas survécu une semaine avec le nom de Cuckoofat Radcliffe !
Ainsi, quand on nomme un enfant lors du baptême, on fait plus que lui accoler une étiquette commode. On le prépare à prendre part à la conversation de ceux qui l'aiment. Le fait de nommer l'enfant dans l'amour est la nourriture qui l'aidera à grandir pour devenir un être humain capable lui aussi d'en appeler d'autres dans l'amour. Mais cette conversation est le signe sacramentel de notre entrée en dialogue avec Dieu, qui nous transforme selon des modes que nous ne pouvons prévoir. Y a-t-il alors un risque à entrer en relation avec Dieu ? Ne sachant ce qu'il adviendra de nous, nous pourrions en avoir peur : il est dangereux de perdre le contrôle de notre identité. Peut-être ne serons-nous plus nous-mêmes, ou peut-être deviendrons-nous des gens à la piété inhumaine, des saints de pacotille ? Augustin s'écriait : « Ô Seigneur, fais que je reste Augustin ! »7 Mais la grâce de Dieu nous transforme seulement pour que nous puissions vraiment devenir pleinement nous-mêmes, à la fin du voyage, quand nous partagerons l'éternelle conversation d'amour qu'est la Trinité.
À son baptême Jésus fut nommé par son Père : C'est toi mon Fils bien-aimé. En toi j'ai mis tout mon amour (Mc 1, 11). Au baptême nous sommes nous aussi aspirés dans l'amour du Père pour le Fils. Nous faisons les délices de Dieu. Maître Eckart a écrit : « Dieu est totalement épris d'amour pour nous. C'est comme s'il avait oublié le ciel et la terre, comme s'il avait oublié toute sa sainteté et sa divinité et qu'il n'avait rien d'autre à faire que de s'occuper que de moi seul, pour me donner tout ce qui peut me réconforter »8. Nous n'entendons pas expressément Dieu nous parler. Quand nous nous adressons à Dieu, on dit que nous prions. Mais si nous disons que nous entendons Dieu s'adresser à nous, nous allons probablement avoir des problèmes ! Et pourtant, nous commençons à entendre le plaisir de Dieu dans la voix de nos parents et amis, et nous apprenons à y répondre.
C'est pourquoi la vie du baptisé est une vocation ; il doit être quelqu'un qui dit oui à Dieu et qui est embarqué pour un périple. Nous ne sommes pas appelés par notre nom une seule fois, aux fonts baptismaux ; mais nous continuons d'être appelés par Dieu jusqu'à temps de le voir face à face. À la confirmation, nous sommes appelés par un nom que nous avons choisi nous-mêmes : c'est le signe de notre maturité, comme quelqu'un qui doit façonner sa propre destinée. Notre nom est prononcé quand nous déclarons notre amour pour une personne au mariage ou dans des moments d'intimité. Notre nom est formulé quand nous assumons une nouvelle responsabilité, ou quand nous sommes ordonnés prêtres, et finalement il est écrit sur notre tombe, alors que nous attendons la voix qui nous appelle à la vie éternelle. Jésus appelle son ami : Lazare, viens dehors (Jn 11, 43). Je voulais utiliser cette citation comme titre d'une conférence à Los Angeles ; mais on m'en dissuada pour la raison qu'un tel titre, « Lazarus, come out », pouvait suggérer que Lazare était homosexuel.
Et, pour finir, le livre de l'Apocalypse écrit : Au vainqueur [...] je donnerai une pierre blanche et, gravé sur la pierre, un nom nouveau que personne ne connaît sinon celui qui le reçoit (Ap 2, 17). C'est l'un des passages les plus mystérieux d'un livre mystérieux 9, mais le sens général est clair : au bout du compte, c'est en Dieu que nous découvrirons qui nous sommes. Notre identité est à découvrir en Christ. Quand on est nommé au baptême, ce n'est pas pour recevoir une identité fixée une fois pour toutes, mais pour être invité à entrer en conversation avec Dieu et avec tous ses amis, un dialogue dans lequel, en fin de compte, sera dévoilé qui on est appelé à être. Tout comme on devient plus proche de Dieu en s'affranchissant de fausses idées sur Dieu, ainsi les baptisés deviennent ce qu'ils sont vraiment en se débarrassant de fausses images d'eux-mêmes, en se libérant d'identités qui les dévalorisent, qui les définissent par opposition aux autres, ou qui sont trop étroites. « Car seule la personne qui vit sa vie comme un mystère est authentiquement vivante »10.
Timothy Radcliffe, in Faites le plongeon (cerf)

1. E. YARNOLD, The Awe-Inspiring Rites of Initiation : Baptismal Homilies of the Fourth Century, Slough, 1971, p. 7.
2. G. BOYLE, Tattoos on the Heart : The Power of Boundless Compassion, New York - Londres - Toronto - Sydney, 2010, p. 54.
3. Avec l'autorisation de l'auteur.
4. H. McCABE, o.p., God Still Matters, Londres, 2002, p. 189.
5. Cité au cours du mariage du duc et de la duchesse de Cambridge, avec, pour des raisons bien compréhensibles, le remplacement de « l'Italie » par « le monde » (Lettres de sainte Catherine de Sienne, lettre 168, traduction française Marilène Raiola, Paris, Cerf, 2012).
6. AUGUSTIN, Confessions, II, 7, traduction française J.-Cl. Fraisse, dans AUGUSTIN, Confessions (I-III), Paris, Hatier, coll. « Profil - Textes philosophiques », 2008, p. 58.
7. Cité par A. GESCHÉ, La Destinée, Paris, Éd. du Cerf, 1995, p. 109.
8. Maître ECKART, Sermon 79, dans M. O'C. WALSHE, Meister Eckart : Sermons and Treatises, Londres - Shaftesbury, vol. 2, 1981, p. 307.
9. Voir R. H. WORTH Jr., The Seven Cities of the Apocalypse and Greco-Asian Culture, Mahwah, 1999, p. 143-153.
10. Stefan ZWEIG, cité par A. SMITH, There but for The, Londres, 2011.