dimanche 13 mai 2012

En musant... Don Carlo Cecchin, Le mois de Marie à Rome

Pourquoi cet article ? Pour mettre un peu de poésie dans notre feuille paroissiale, pouvoir s’évader, rêver… Y a-t-il un mois plus beau que le mois de mai ? À Rome, il fait déjà chaud, mais c’est une chaleur bienfaisante, loin de celle de l’été, si étouffante, qui faisait fuir jadis Pape, Cardinaux et autres prélats, mais aussi collèges et séminaires, vers la fraîcheur des Castelli Romani, les Monts Albans où ils avaient leur villa. Ah ! Comme elles sont douces ces soirées romaines ! Surtout en parcourant les ruelles des vieux quartiers, ou bien assis à la terrasse d’une hosteria, vieux bistrot romain, ou une « gelateria » ! Soudain, l’Angelus fait oublier les nourritures terrestres pour élever l’âme vers la Vierge Marie. À Rome, les sanctuaires, les chapelles, les oratoires dédiés à la Mère de Dieu se comptent par centaines ; et par milliers, peut-être, les œuvres d’art la représentant, encore très vénérées, patinées par la fumée des cierges et de l’encens. Comme si toute la détresse d’une humanité priante s’y était, en quelque sorte, collée. Chacun a « sa » Vierge Marie, depuis les vénérables icônes attribuées à St. Luc - comme s’il avait passé sa vie à peindre ! - les mosaïques, les toiles des grands maîtres, jusqu’aux images les plus populaires : cette Bonne Mère a toujours un regard de tendresse et de miséricorde.
Au cours de l’histoire de l’Église, les écrits des Pères et des Docteurs, les développements doctrinaux, le zèle des Saints et la piété du peuple chrétien, ont contribué à ajouter de nouvelles gemmes à la couronne glorieuse de la Reine des Cieux. Ainsi les titres des églises dédiées à Notre-Dame sont comme des litanies. Elle a le titre de Reine des Prophètes, dont elle accomplit les prophéties. Elle est aussi la Reine des Apôtres qu’elle encourage et soutient. Aux catacombes Sainte-Priscille, on la voit assise, tenant dans ses bras l’Enfant qui semble chercher le sein de sa mère. Un personnage mystérieux se tient à ses côtés, montrant une étoile : est-ce la vision de Balaam ? Au Concile d’Éphèse, la vierge Marie est proclamée Théotokos, Mère de Dieu, et Sixte III lui dédie une basilique grandiose aux superbes mosaïques : Sainte Marie-Majeure, dont les éléments essentiels datent de ce pontificat (432-440). Le jour de la fête de Ste Marie-des-Neiges, pendant le Magnificat, une pluie de pétales blancs tombe du plafond, en souvenir de la neige tombée miraculeusement un mois d’août sur l’emplacement de la future basilique. C’est ici que l’on vénère la Salus Populi Romani (Salut du peuple romain), attribuée à St Luc : la Vierge Marie n’est-elle pas aussi le Salut des Infirmes ? Au-dessus du maître-autel, un magnifique arc triomphal en mosaïque lui est dédié. Elle y est représentée comme une impératrice-mère à côté de son jeune Fils assis sur un trône. Le Pape offrit cette œuvre splendide à tout le peuple de Dieu : Sixtus Episcopus Plebi Dei, a-t-il fait écrire. Elle est encore la Reine des Martyrs, siégeant sur les harmonies cosmiques du Panthéon, donné par l’empereur Phocas au Pape Boniface IV (608-615). Elle est Trône de la Sagesse dans l’ancienne bibliothèque des Césars, située sur le Forum, au pied du Palatin, sous le vocable de Sancta Maria Antiqua. Elle remplace aussi Minerve et la sagesse antique à Sainte Marie sopra Minerva ; Trône du Ciel, elle expulse Junon Moneta du Capitole, (où Auguste, ayant eu une vision mystérieuse, fit élever un autel au Fils Premier-né de Dieu, (Ara Primogeniti Dei), pour devenir Sainte-Marie in Ara Coeli. Reine des Anges, elle purifiera les thermes de Dioclétien devenus l’église Sainte Marie-des-Anges grâce à l’œuvre de Michel-Ange, et qui fut même autrefois la Chartreuse de Rome. Elle est la Vierge Puissante à Sainte Marie-de-la-Victoire, puisque elle est « forte comme une armée rangée en bataille » (Cant. 6,3) ; Mère Très Pure à Saint André della Valle, où se trouve la jolie toile de la Madone de la Pureté, peinte par Morales (1500-1586) ; Mère de Miséricorde et Secours des Chrétiens en l’église Saint-Alphonse, où l’on vénère la très célèbre icône de Notre Dame du Perpétuel-Secours ; Mère de la Divine Grâce, dans le sanctuaire champêtre du Divin Amour, à une vingtaine de kilomètres de Rome ; Porte du Ciel en Sainte Marie in Porta Paradisi. Mais il y a aussi Sainte Marie del Pianto (des pleurs), du Peuple, des Monts, de la Lumière, des Miracles, de la Mort, de la Paix, de la Piété, de la Route, du Suffrage, de l’Âme, de l’Humilité, du Saint Nom de Marie, etc. : autant de titres et d’églises que l’on égrène comme un chapelet.
L’Angelus, terme du soir, achèvera notre pèlerinage, en propageant son tintement à travers la Ville Éternelle, pour nous rappeler le « Fiat » de Marie à la Rédemption. À l’heure où les ombres s’allongent au pied des arcs et des colonnes tronquées du Forum inéluctable écoulement du temps, négligence inévitable des hommes – il sonne comme un glas sur ces ruines, souvenir de tant de gloires, nous rappelant que tout a une fin sur cette terre. Mais, moment unique de grâce, commencement de notre salut, le « Fiat » joyeux de Marie traverse toutes les époques de notre histoire. La pénombre envahit peu à peu les antiques basiliques. Seuls quelques cierges éclairent en tremblotant le doux visage de Marie plein de tendresse comme une mère, intime confidence, instant d’éternité. Désormais, la nuit étend son manteau noir sur la ville, mais nous resterons dans l’attente trépidante de voir paraître l’Étoile du Matin, qui à travers les épreuves de la vie, nous indique le chemin vers son Fils Jésus, le Soleil de Justice - qui nescit occasum – qui ne connaît jamais de coucher. Du Ciel, au mois de mai, la Vierge Marie nous sourit et nous rassure : ô tendre mère, remplissez nos cœurs, d’Amour et de sainte Espérance.
Don Carlo Cecchin