mercredi 16 mars 2011

En passant... Relecture du Misanthrope

J’ai relu le Misanthrope. J’avais un souvenir plutôt bon d’Alceste, m’en sentant assez proche. Mais c’était il y a 20 ans…

S’il y a des réflexions que je ferais volontiers miennes, telle :
Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.

Il y en a d’autres qui sont moins convaincantes… même si elles sont parfois tentantes !
Tous les hommes me sont à tel point odieux,
Que je serais fâché d’être sage à leurs yeux.

Finalement le grand tort de Molière, c’est… de n’avoir pas lu la Bible : « Vérité et Charité se rencontrent ». Chez lui, Vérité (Alceste) et Charité (Philinte) s’affrontent, ce qui est absurde. En pratique on ne peut se rapprocher de la vérité qu’en faisant progresser la charité, et vice-versa ; Alceste en réalité ne donne qu’une vérité artificiellement objectivée et fausse ; et Philinte n’aime pas réellement, il ne vise qu’à être aimé, ce qui est bien sûr bien différent et souvent opposé...

Et puis Alceste a une conception bien conditionnelle de l’amitié :
Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici profession de l’être ;
Mais, après ce qu’en vous je viens de voir paroître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus.
Si l’amitié dépend ainsi des actes de l’autre, elle n’est que vaine fumée et crée toute l’hypocrisie par ailleurs dénoncée par lui-même puisqu’on ne peut conserver cette pseudo-amitié qu’en se conformant aux projections de l’autre, et donc en dissimulant notre vraie nature.

Et il y a pire, Alceste veut bénéficier d’amitiés exclusives : « si tu aimes d’autres personnes tu n’es pas mon ami »… Ah, non !
Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsqu’au premier faquin il court en faire autant ?
Non non, il n’est point d’âme un peu bien située
Qui veuille d’une estime ainsi prostituée ;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde. (…)
Je veux qu’on me distingue ; et pour le trancher net,
L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.

Sans même parler de sa conception de l’amour :
Plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on le flatte ;
À ne rien pardonner le pur amour éclate.                       
(éclate = resplendit…)
Le pardon est le fondement de la vie à deux, un couple qui ne se pardonnerait rien mutuellement n’aurait pas beaucoup d’espérance de vie. Mais là je déforme probablement la pensée de Molière, il me semble qu’il dit plutôt « À ne rien laisser passer » ce qui est nettement mieux, et serait même nécessaire si c’était « à ne rien laisser passer d’important ».

Une réplique que je trouve titillante :
Monsieur, c’est trop d’honneur que vous me voulez faire,
Mais l’amitié demande un peu plus de mystère ;
Et c’est assurément en profaner le nom
Que de vouloir le mettre à toute occasion.

Et la manière qu’a la douce et charmante Célimène de le croquer fait sourire, certains d'entre nous ayant déjà bénéficié de tels propos :
Et ne faut-il pas bien que monsieur contredise ?
À la commune voix veut-on qu'il se réduise,
Et qu'il ne fasse pas éclater en tous lieux
L'esprit contrariant qu'il a reçu des cieux ?
Le sentiment d'autrui n'est jamais pour lui plaire;
Il prend toujours en main l'opinion contraire,
Et penseroit paroître un homme du commun,
Si l'on voyoit qu'il fût de l'avis de quelqu'un.
L'honneur de contredire a pour lui tant de charmes,
Qu'il prend contre lui-même assez souvent les armes ;
Et ses vrais sentiments sont combattus par lui,
Aussitôt qu'il les voit dans la bouche d'autrui.

Heureusement, il est défendu par l’amoureuse Éliante :
Dans ses façons d'agir, il est fort singulier ;
Mais j'en fais, je l'avoue, un cas particulier,
Et la sincérité dont son âme se pique
A quelque chose, en soi, de noble et d'héroïque.
C'est une vertu rare au siècle d'aujourd'hui,
Et je la voudrois voir partout comme chez lui.

Bon d’accord, Molière n’est pas Shakespeare ou Claudel, mais quand même, de temps en temps ça fait du bien de se replonger dans les vieux classiques…