samedi 5 février 2011

En glanant... Jacques Rollet - Le relativisme


Le relativisme sape l’idée de valeurs communes et d’universel
La démocratie semble menacée par un relativisme qui, selon ce politologue, pourrait en ébranler les fondements 
Louis de Courcy : La Tentation relativiste, titre de votre dernier livre, induit d’entrée de jeu le fait que le relativisme soit un danger…
Jacques Rollet : Le relativisme met en cause la stabilité d’une société démocratique, minimise la place des religions et notamment du christianisme parce qu’il rend inopérant ce que celui-ci peut avoir à dire, et ébranle les grandes références de la formation de l’Occident. 
Vous affirmez donc que le relativisme pourrait mettre à mal la démocratie. Pourquoi ?

La démocratie est un régime fragile, le meilleur, pourtant, de ceux que l’on peut actuellement recenser. On sait que pour qu’elle tienne, il lui faut des valeurs communes, même si elle est fondée sur l’
être ensemble à partir des libertés de chacun. Or le relativisme sape l’idée de valeurs communes et d’universel. Selon moi, la démocratie inclut un dépassement de la liberté individuelle et même de la souveraineté du peuple. Car au-dessus, il y a quelque chose de plus grand : les droits de l’homme. Et les droits de l’homme impliquent la dignité de l’homme. 
Mais la démocratie ne suppose-t-elle pas aussi la tolérance ?

Il s’agit, avec la tolérance, de tolérer les personnes et leur liberté, ce qui ne signifie pas que je doive être d’accord avec eux sur leurs idées. Le signe du respect que j’ai pour quelqu’un réside dans ma capacité à lui exprimer mon désaccord avec ses idées. La tolérance n’a rien à voir avec l’idée que tout se vaut. Je démens le lien entre tolérance et relativisme car si la tolérance est fondée sur le relativisme, c’est l’indifférence. 
D’où vient exactement cette tendance au relativisme que vous dénoncez ?

Tocqueville s’est demandé d’où venait, en effet, cette tyrannie possible de l’opinion dans l’état social démocratique. Et il a démasqué la confusion suivante : puisque l’un est statutairement l’égal de tous les autres, chacun peut être amené à croire qu’alors, sa pensée vaut bien toutes celles des autres. C’est ainsi que le relativisme vient de l’état de l’opinion en démocratie. Je pense en outre que les sciences sociales ont joué, pour une part, un rôle négatif en France. Les sociologues et les politologues se sont posés en analystes de la société en ne s’en tenant qu’à l’analyse des faits, sans prendre position, en érigeant comme seule valeur de leurs travaux la neutralité et en ne s’en tenant qu’aux faits, ce qui leur a permis de s’afficher comme scientifiques. Ce positivisme a inévitablement conduit au relativisme, les valeurs faisant l’objet d’un choix subjectif, et se révélant donc comme… sans valeur. 
Vous en appelez tout au long du livre au
 sens commun. Sur quelle réalité s’appuie ce fameux
sens commun, selon vous si nécessaire ?
Le sens commun est la capacité que j’ai de penser avec les autres et, en pensant, de me mettre à la place des autres. Tout individu moyennement intelligent a cette capacité de juger de ce qui se passe autour de lui et d’évaluer sa place, avec d’autres, dans la société. Si les experts en sciences sociales quittent trop vite le sens commun, estimant qu’ils savent mieux que quiconque comment marche la société, on est alors en droit de leur demander : « D’où tenez-vous le fait d’avoir ce que le sens commun n’aurait pas ? » 
Le sens commun peut-il aussi s’appuyer sur une transcendance ?

Il s’appuie d’abord sur la raison éclairée. Le sens commun suppose un minimum d’information commune et vérifiée : par exemple, le nombre de chômeurs. Il suppose un certain rapport aux normes : par exemple, nul ne peut nier le sentiment d’insécurité dans les banlieues, et ce ressenti n’est évidemment pas souhaitable. Enfin, il s’appuie sur la notion de dignité humaine. Cette dignité qu’expriment les droits de l’homme dépasse l’homme, affirme Jacques Maritain. C’est là qu’il y a transcendance. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’on a déclaré ces droits de l’homme : ils nous sont transcendants parce que l’homme a une dignité inaliénable dont il n’est pas le créateur. Par ailleurs, qu’est-ce que l’autonomie, sinon le fait d’un être libre qui ne sera pas vraiment moral s’il n’a pas décidé de l’être, mais qui, s’il l’est, accepte d’être soumis à des normes universelles qui appartiennent à l’humanité, et non à lui-même en tant qu’individu ? Là se situe aussi la transcendance. 
Voyez-vous des signes aujourd’hui qui témoigneraient d’un vent contraire au relativisme ambiant ?

L’avis récent de la Cour de cassation sur le fait qu’on puisse donner une identité à un fœtus signifie que la définition du fœtus selon le Comité d’éthique une personne humaine potentielle, commence à être prise au sérieux. Je crois par ailleurs qu’il n’est pas réactionnaire de faire appel à la fécondité de l’idée de loi naturelle. La démocratie a besoin qu’on s’entende sur la nature humaine. La loi naturelle nous dit : l’homme a une nature. Il y a une essence de l’homme. Et s’il n’y a pas de nature humaine, il n’y a plus de droits de l’homme. Ces droits reposent sur l’idée qu’il existe une consistance de l’idée d’essence humaine. L’homme a des droits parce qu’il a une essence qui en fait un être intelligent et volontaire. 
Ce raisonnement ne risque-t-il pas de donner prétexte à un retour du dogmatisme religieux ?
Pas du tout, car il s’agit bien d’articuler la transcendance, qui peut être découverte par l’homme, avec la démocratie. Et quand je mets, par exemple, en valeur le rôle du christianisme dans la démocratie, c’est parce qu’il a diffusé en Occident l’idée de loi naturelle. Il s’agit, par la discussion rationnelle, de montrer ce que le christianisme apporte au plan théorique, la manière dont il peut être utile à tous en respectant jusqu’au bout la transcendance de l’homme.



Jacques Rollet, maître de conférences de science politique à l’université de Rouen,
recueilli par Louis de Courcy